SYNOPSIS
Rashid, un jeune adolescent boxeur,
se bat jour après jour dans le but de réunir assez d’argent
pour payer un passeur qui l’emmènera,
lui et ses deux copains, Salek et le Faible,
de l’autre côté du Détroit.
Le voyage commence à Ouezzane, puis à Casablanca.
Ils arrivent à Tanger.
De là, ils monteront à bord d’une « patera »
qui traversera la mer en pleine nuit
et fera naufrage.
Rashid luttera jusqu’au bout contre les eaux,
mais la mer finira par l’engloutir.
Rashid et ses copains mourront.
BRÛLER LA MER
Imaginons que un ville comme Bruxelles et Barcelone ensemble
se vident complètement de ses habitants
et que tous ses citoyens se mettent à errer aux frontières de l'Europe.
Imaginons ce plus de deux million et demie de personnes déracinées
et nous obtiendrons le nombre des émigrants
qui frappent chaque année aux portes de l’Europe.
​
Mais d’autres milliers n’arrivent jamais en vue des côtes de l’Europe,
ils sont morts au cours de leur périple.
Et c’est ainsi. Année après année.
LES AUTEURS - INTERVIEW À JEONJU
JEONJU FESTIVAL : Permettez-moi de vous présenter les auteurs de ce film, Mohamed Fekrane et Gustavo Cortés Bueno. Nous vous applaudissons tous les deux chaleureusement et sommes enchantés de vous rencontrer.
Pour débuter, pourriez-vous partager quelques mots de salutation et nous présenter votre film, s'il vous plaît ?
MOHAMED FEKRANE : Tout d'abord, nous tenons à remercier le Festival de Jeonju, le public et les membres du jury pour cette édition internationale. Nous espérons que vous avez apprécié le film. Je cède maintenant la parole à mon ami et collègue Gustavo Cortés Bueno pour qu'il se présente et parle du film.
GUSTAVO CORTÉS BUENO : Bonjour à tous, je suis également ravi que notre film ait été sélectionné pour participer au festival. Pour nous, cet évènement représente une grande réussite puisque nous avons traité un sujet aussi important que l'émigration. Au départ, nous pensions que ce thème n'intéresserait que les Européens et les personnes directement concernées, notamment les immigrants venant d'Afrique. Cependant, lorsque vous nous avez contactés, nous avons réalisé qu’il pouvait toucher un public bien plus large, qu'il s'adresse à toute la population mondiale. C’est ainsi la première grande réussite du projet: savoir que notre travail intéresse des spectateurs en Corée du Sud et probablement partout ailleurs. Merci beaucoup.
JEONJU FESTIVAL : Nous avons quelques questions pour vous deux, provenant de notre audience. Nous allons sélectionner les questions les plus pertinentes pour vous les poser.
La première question concerne le caractère très réaliste et touchant de votre film : Est-il basé sur des événements autobiographiques de votre propre vie ou de celle d'enfants figurant dans le film ?
MOHAMED FEKRANE : Je vais répondre même si Gustavo est le scénariste et donc mieux placé que moi pour cela. Oui, l'histoire est inspirée de faits réels. Nous suivons le parcours de Rachid et des autres protagonistes dans cette aventure, qui se situe à la frontière entre fiction et réalité. Il s'agit d'une histoire vraie impliquant ce jeune homme et les trois autres personnages principaux. Pour ma part, je vais laisser Gustavo répondre plus en détail car il a une connaissance plus approfondie de l'histoire, ayant rencontré ces enfants. Ce ne sont pas des acteurs professionnels, mais des enfants que nous avons trouvés dans la rue, que nous avons formés et qui ont appris leur texte. Cependant, Gustavo a également vécu une expérience similaire il y a plus de dix ans avec de vrais protagonistes. Je vais donc lui laisser la parole pour en parler.
GUSTAVO CORTÉS BUENO : Tout a commencé il y a une bonne dizaine d'années, peut-être même plus. J'ai été interviewé par un article dans un journal français évoquant des enfants qui pratiquaient la boxe pour gagner un peu d'argent, dans le but de financer leur voyage en Europe en bateau. Cette histoire m'a profondément touché. J'ai alors entrepris le voyage jusqu'à Marrakech pour rencontrer ces enfants. Après avoir rencontré plusieurs d'entre eux, j'ai été particulièrement marqué par un garçon de 14 ans nommé Rachid, avec lequel j'ai passé un mois et demi avec lui, dans l'idée de réaliser un documentaire. À cette époque, je me concentrais principalement sur ce type de projets, et j'avais déjà réalisé plusieurs documentaires. J'ai suivi Rachid à plusieurs reprises, jusqu'à sa tentative de prendre le bateau pour l'Europe. C'était un parcours similaire à celui que nous avons retracé dans le film. Malheureusement, le véritable Rachid a disparu.
Malgré mes efforts pour le retrouver, je ne l'ai jamais rencontré. J'ai parcouru l'Espagne, cherché dans tous les foyers pour mineurs migrants arrivant par la mer à Barcelona, mais la recherche à été en vain. Cette histoire est devenue pour moi une tragédie profonde. Il faut savoir que je suis d'origine espagnole et que j'habite en face du Maroc. Aujourd'hui, je réside à Bruxelles, mais cette quête pour retrouver Rachid a laissé en moi une marque indélébile.
Un jour, j'ai rencontré Mohamed, je lui ai parlé de cette histoire qui ne pouvait que le toucher profondément. Nous avons échangé sur nos expériences respectives, car Mohamed avait également côtoyé des enfants dans des situations similaires. Avec tout le matériel et toutes les conversations que nous avions eus, j'ai écrit le scénario. Ensuite, Mohamed a entrepris des recherches pour retrouver des enfants à Casablanca, notamment ceux vivant dans la rue et sans avenir. Nous les avons retrouvé ensemble, et on leur a posé des questions pour mieux comprendre leur quotidien. Avec tout ce matériel, nous avons retravaillé le scénario. Mohamed insistait toujours sur la nécessité que le scénario reste ouvert, car pendant le tournage, nous avons intégré toutes les expériences que nous avons entendues de la part des enfants. C'est ainsi qu'est né un film authentique, un film que nous avons construit jour après jour, tout en restant fidèles à la réalité.
JEONJU FESTIVAL : Une scène qui a particulièrement marqué le public était la dernière scène du film, notamment avec son aspect particulier en noir et blanc.
Pourriez-vous nous parler de cette scène et de votre choix de la tourner ainsi ?
MOHAMED FEKRANE : Oui, c'est très intéressant que vous abordiez cette dernière scène, car elle représente un moment crucial dans le film. En la regardant du début à la fin, on arrive à cette image d'un arbre au milieu de la mer, une situation symbolique entre la vie et la mort, un purgatoire où l'on se demande si nos personnages sont vivants ou morts, s'ils ont réussi à traverser en Europe ou non. Nous avons eu à faire un choix difficile : laisser la scène en couleur ou en noir et blanc. Techniquement, le choix de la couleur aurait nécessité l'ajout de filtres lors du traitement, mais nous avons opté pour le noir et blanc par choix artistique. Cela a eu un impact sur le public et je tiens à insister sur l'importance de cette scène. Je laisse maintenant Gustavo poursuivre.
GUSTAVO CORTÉS BUENO : Tout à fait, je suis entièrement d'accord avec Mohamed. Je souhaite ajouter deux éléments à cela. Tout d'abord, dans le premier scénario que j’avais écrit, je me suis posé la question de ce qui pourrait arriver après la mort, en particulier pour les personnes les plus vulnérables, sans avenir, comme les migrants. Quel serait leur dernier rêve ? C'est ainsi que j’avais décidé d'intégrer une partie de la séquence finale pour raconter ce dernier rêve, représenté en noir et blanc pour symboliser la mort et l'unité dans ce moment. Ensuite, on avait discuté avec les acteurs de la dernière séquence. Initialement, il avait été envisagé que les trois enfants meurent, mais on avait estimé que cela serait trop cruel pour le public. Face à cela, on a pris la décision que le personnage le plus faible, représenté par Le Faible, soit celui qui continue à vivre et à réaliser son rêve, symbolisé par cette action de traverser. Les deux personnages les plus forts, le boxeur et Salek, sont ceux qui malheureusement meurent. La dernière séquence montre Le Faible marchant sur la plage, représentant une transition entre le ciel et la mort, avec un sourire, symbolisant le rêve réalisé malgré la tragédie. C'est notre manière de dire au spectateur qu'à la fin, malgré tout, il y a toujours la possibilité de toucher son rêve. Pour finir, je voudrais dire que c'est César, notre directeur de la photographie, qui nous a proposé de travailler cette séquence en noir et blanc.
JEONJU FESTIVAL : Une question importante concerne les personnages. Votre film aborde la vie des émigrants, mais aussi celle des enfants qui luttent pour survivre dans un monde cruel façonné par les adultes. La plupart des adultes dans le film sont représentés comme cruels, cherchant à exploiter les enfants pour leur propre gain. Cependant, un personnage nommé Hicham montre une attitude différente des autres adultes. Aviez-vous l'intention d'apporter cette nuance dans les personnages ?
MOHAMED FEKRANE : Si vous avez remarqué, nous avons adopté le point de vue des enfants à travers la caméra, plutôt que celui des adultes sur les enfants. Malheureusement, dans la réalité que nous illustrons, il est habituel que les adultes profitent des enfants, et que ces derniers soient durs avec eux. Le personnage d´Hicham semble ambigu au début, laissant planer un doute sur ses intentions envers les enfants. Cependant, à mesure que nous découvrons son histoire, nous le voyons comme un enfant lui-même. Il partage les mêmes souffrances et expériences que les autres enfants. Hicham se rappelle de son enfance et commence à ressentir de la compassion. Malheureusement, le destin prend une tournure dramatique. Je laisse maintenant Gustavo vous en dire davantage.
GUSTAVO CORTÉS BUENO : Merci. Je partage ce que Mohamed a expliqué. Lorsque je suis arrivé pour la première fois à Marrakech et que j'ai rencontré ces enfants pratiquant la boxe, j'ai ressenti la violence et la cruauté des adultes qui cherchent à exploiter ces jeunes. Comme l'a souligné Mohamed, nous avons voulu raconter cette histoire du point de vue des enfants, où les adultes sont souvent représentés comme des profiteurs violents.
Chaque enfant avait été conféré un rôle spécifique: Rashid tente agir et se comporter comme un adulte, ne montrant pas son adolescence, alors qu’il est en réalité un enfant de 14 ans. Salek incarne la méfiance et la recherche constante d'aide. Quant à Le Faible, il représente la force dans son désir de rester un enfant, de rire, de s'émerveiller face à la mer. Ces personnages reflètent des aspects de la vie des enfants, confrontés à la violence mais cherchant toujours à préserver leur innocence.
Hicham, quant à lui, est un personnage complexe. Il commence par vouloir exploiter les enfants, mais il réalise peu à peu qu'il doit les aider, même si ses moyens sont limités. Malheureusement, son changement d'attitude survient trop tard. Il incarne une certaine réalité où même les adultes qui évoluent dans un monde cruel peuvent avoir des moments de compassion, mais ce changement survient trop tard pour que le cours des évènements puisse changer.
Malheureusement, nous n'avons plus beaucoup de temps pour discuter davantage. Je suppose qu'il est très tôt le matin là où vous êtes. Nous vous remercions infiniment d'être ici avec nous, c'était très gentil de votre part. Nous vous applaudissons encore une fois très fort.
JEONJU FESTIVAL : Pourriez-vous dire quelques mots d'au revoir au public coréen ?
MOHAMED FEKRANE : Ce fut un immense honneur pour nous d'être ici en Corée. Nous avons l'impression d'être avec vous, et j'apprécie énormément le cinéma coréen. J'ai eu la chance de travailler avec des amis coréens en Angleterre et j'en garde un très bon souvenir. C'est un pays que j'aimerais beaucoup tourner un film un jour. Merci beaucoup au festival de Jeonju, merci au public coréen, merci aux membres du jury et merci à vous, les modérateurs.
GUSTAVO CORTÉS BUENO : J'aimerais ajouter que vous êtes nos premiers spectateurs et cela relève une grande importance pour nous. Quelques mois auparavant, nous étions presque plongés dans la dépression à cause de la COVID, impossible de faire les projections en salles. Personnellement, j'ai pensé à abandonner et à chercher un autre emploi, car vraiment, avec la COVID, c'était impossible de continuer. Mohamed m'a dit de ne pas exagérer, de garder espoir. Et un jour, c'est vous qui nous avez contactés. Cela a été comme retrouver un peu d'espoir pour nous, et aujourd'hui, je suis ravi de voir tous les spectateurs présents sur l'écran, vous êtes nos premiers spectateurs et c'est quelque chose que je n'oublierai jamais.
Merci à tous. Merci.